Je me souviens de ce temps où la journée du dépassement (1) faisait office de nouvelle croustillante dont nous pouvions débattre autour d'un café le matin :
« Il parait qu’il faudrait 2,7 planètes si tout le monde vivait comme les français et 5 si nous vivions comme les américains. »
A cette époque, l’information me paraissait impalpable et lointaine. C'était il y a quelques années - 10 à peine - et la jeune diplômée que j’étais avait un plan de vie assez clair en tête, dans lequel la planète occupait une place exotique, davantage associée à de petits gestes écologiques contre balancés par la promesse de voyages lointains, qu’à l’injonction de ré-inventer l’avenir.
Entre temps : le jour du dépassement a reculé d'un mois. La pandémie mondiale a entrainé dans son sillon la vulgarisation d’alertes scientifiques plus que trentenaires et l’intensification des débats autour de nos modes de vie modernes.
Désormais difficile d’y échapper : canicules au Canada, inondations en Allemagne, gelées tardives en France, feux de forêt en Australie, en Grèce, ou encore sécheresses à Madagascar... les appels à l’urgence face aux conséquences du dérèglement climatique ont pignon sur rue et ce qui n’était qu’un marronnier médiatique sonne de plus en plus comme un coup de semonce.
Face à l’avenir du monde, nous sommes la 1ère génération qui ne pourra pas se dédouaner et dire « Je ne savais pas ». Que dirons-nous alors ?
Personnellement, j’aimerais pouvoir répondre :
« Regardes, comme nous avons eu l’audace de t’enchanter ».
Voici venue la « prés-urgence ».
Car oui, l’avenir n’a plus du tout la même portée, le café du matin a parfois un goût amer et voilà que désormais que nous nous inquiétons.
Le développement dit durable (un terme par ailleurs de plus en plus discuté) ne désigne plus un concept lointain pour « les générations futures » et en solidarité avec les « pays du Sud », mais implique - au Nord également - un sentiment d’urgence dans le présent pour préserver l'avenir, que j’appelle personnellement la « prés-urgence ».
De cette « prés-urgence » donc, nait l’invitation de plus en plus impérieuse d’enchanter, et plus précisément, (ré)enchanter l’Avenir. Les voix se multiplient pour qu’à la crise civilisationnelle mue par un « désenchantement » du monde (2) nous puissions trouver réponse à travers un renouvellement profond de nos imaginaires et la mise en place d’un nouveau contrat social.
Une démarche rendue particulièrement complexe par :
la nécessité de revisiter le cadre éthique du débat afin d’y intégrer un périmètre de solidarité à l’échelle mondiale et considérer les populations les plus vulnérables face au dérèglement climatique (populations qui, rappelons-le, sont également les moins émettrices de carbone et consommatrices de ressources) ;
l’importance d’imputer des changements profonds à nos modes de vie modernes - peu résiliants en contexte de raréfaction des ressources et de déséquilibres des écosystèmes - sans que ce mouvement ne soit perçu comme anti-progressite.
En somme, afin de préserver l’apaisement offert par les progrès industriels et techniques à une petite portion de la population mondiale et sur un laps de temps infime et l'élargir au plus grand nombre ; les nouveaux temps modernes notamment caractérisés par ce que j'appelle la « pré-surgence » impliquent que nous nous ré-habituions à vivre dans un monde de moins en moins prévisible sans que celui-ci ne devienne anxiogène.
Si de prime abord l'équation semble difficile à résoudre, elle recèle également une source d'inventivité et d’espérance, socle de nouveaux systèmes d'organisation économique & sociale.
Sources mobilisées :
(1) La journée du dépassement médiatise chaque année le nombre de planètes nécessaires pour mondialiser un style de vie. En 2021, cette journée est estimée au 29 juillet et il faudrait 2,7 planètes Terre si nous vivions tous comme les français.
(2) Cet appel porté par de nombreux philosophes s’appuie notamment sur les travaux de M. Weber puis M. Gaucher. Plus d'informations ici.
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